CHAPITRE DIX-SEPT

N’importe quoi ! Bien sûr qu’ils ne dévorent personne ! s’exclama Lucie, si fort que la guimpe de sœur Marie Angela apparut à quelques mètres.

La religieuse nous regarda en fronçant les sourcils. Nous sourîmes en agitant les jouets. Elle nous observa longuement, puis son visage s’adoucit et elle retourna à son travail.

— Lucie, dis-moi la vérité ! chuchotai-je.

Elle haussa les épaules avec une nonchalance exagérée.

— Ils ont faim, c’est tout. Tu sais comment sont les ados  – toujours affamés.

— Et qu’est-ce qu’ils mangent ?

— Des pizzas. On appelle, on donne l’adresse d’un immeuble près de l’entrée des souterrains, et on attend dans le hall d’entrée que le livreur arrive. On prend les pizzas, je lui fais oublier qu’il nous a vus, et il repart.

— Vous volez des pizzas ?

— Oui, mais c est mieux que de manger le livreur non ?

— Euh... oui, fis-je en roulant des yeux. Et vous volez aussi du sang à la banque du sang ?

— Encore une fois, mieux vaut ça que de s’attaque, aux gens.

— Voilà une autre raison pour laquelle vous devez vous montrer au grand jour !

— Parce qu’on vole des pizzas et du sang ? Pourquoi le dire aux vampires ? On a assez de problèmes comme ça, pas la peine d’en rajouter !

— Non, pas parce que vous volez, mais parce que vous n’avez pas d’argent, ni aucun moyen légal de subsister.

— J’en viendrais presque à regretter Aphrodite... Elle a de l’argent, et plein de cartes bancaires, marmonna Lucie.

— Mais alors tu devrais la supporter.

— Qu’est-ce que j’aimerais pouvoir contrôler son esprit comme celui des livreurs de pizzas ! Je lui imposerais une bonne dose de gentillesse, et tout le monde serait heureux.

— Lucie, tu ne peux pas continuer à vivre dans ces souterrains.

— Ça me plaît, prétendit-elle.

— Ils sont sinistres, humides et sales. Et puis, tu as besoin de l’argent, du pouvoir et de la protection de l’école.

Elle croisa mon regard et, soudain, elle me parut beaucoup plus âgée et mûre.

— L’argent, le pouvoir et la protection de l’école n’ont pas aidé le professeur Nolan, ni Loren Blake, ni même ton Stark.

Je ne sus que répondre. Elle avait raison. Pourtant, je sentais toujours au fond de moi que les vampires devaient connaître l’existence de Lucie et des novices rouges.

— OK, soupirai-je, je sais que mon idée n’est pas bonne à cent pour cent, mais c’est la meilleure solution.

— Tu veux dire que c’est une intuition venue de Nyx ?

— Oui.

— Alors d’accord. Je serai là demain. J’espère que tout se passera bien, Zoey.

— Tu peux compter sur moi.

J’adressai une prière silencieuse à Nyx : « Je compte sur vous autant qu’elle compte sur moi... »

 

Lorsque Lucie et moi eûmes fini l’inventaire, qui n’avait paru interminable, je regardai l’horloge. Aphrodite et moi allions devoir nous dépêcher si nous ne roulions pas arriver en retard à l’école ! Lucie devait quant à elle aller retrouver ses novices avant qu’ils ne commettent l’irréparable. Nous nous dîmes au revoir. Un peu pâle, elle me serra dans ses bras et me promit qu’elle viendrait.

Puis je passai la tête dans le bureau de sœur Marie Angela.

— Excusez-moi, madame... fis-je, ne sachant trop comment l’appeler.

Le « madame » parut convenir ; elle leva la tête avec un grand sourire.

— L’inventaire est terminé, Zoey ?

— Oui, et nous devons retourner à l’école. Elle regarda l’horloge et écarquilla les yeux.

— Mon Dieu ! Je n’avais pas vu qu’il était si tard. Et j’avais oublié que vos journées étaient inversées. Vous êtes comme nos adorables félins. Eux aussi préfèrent la nuit. À ce propos, et si nous fermions plus tard le samedi soir pour que vous puissiez venir travailler ?

— C’est une très bonne idée. Je demanderai l’autorisation à notre prêtresse, et je vous passerai un coup de fil. Oh, et voulez-vous que j’organise cette vente de charité ?

— Oui. J’ai téléphoné au comité de direction ecclésiastique et, après une petite discussion, ils ont accepté.

— Je remarquai que sa voix s’était durcie et qu’elle s’était redressée.

— Tout le monde ne raffole pas des novices, c’est ça ?

— Ne te fais pas de souci pour ça, Zoey, dit-elle avec un sourire chaleureux. Je me suis souvent frayé toute seule un chemin, et je ne crains pas de me servir d’une machette pour abattre les mauvaises herbes et les obstacles.

Mes yeux s’agrandirent : quelque chose me disait que ce n’était pas une métaphore...

— C’est quoi, ce comité de direction ecclésiastique ? Voulus-je savoir.

— Eh bien, il regroupe les dirigeants d’Églises locales.

— Comme le Peuple de la Foi ?

— Oui, répondit-elle en fronçant les sourcils. Le Peuple de la Foi est très représenté dans le comité, ce qui reflète la taille de cette congrégation.

— Je parie que c’était eux, les mauvaises herbes que vous avez dû couper, marmonnai-je.

— Pardonne-moi, Zoey, je n’ai pas bien compris, dit-elle avec un regard espiègle, s’efforçant de dissimuler un sourire.

— Oh, rien. Je pensais à voix haute.

— Ah... Pour en revenir à votre vente de charité, parlez-en à votre grande prêtresse et dites-nous quel jour vous conviendrait le mois prochain. Nous nous adapterons à votre emploi du temps.

— Très bien, fis-je, fière que mon idée de bénévolat caritatif fonctionne si bien. Maintenant, nous devons rentrer ; je vais chercher Aphrodite.

— Je crois que tes amis ont fini depuis un moment, mais ils sont plutôt...

Elle se tut, les yeux pétillants.

— Plutôt occupés.

— Comment ? fis-je, choquée.

C’était cool que la nonne n’ait pas peur des novices et des vampires en général, mais que le flirt auquel se livraient Darius et Aphrodite l’amuse, c’était trop, même pour moi.

De toute évidence, elle avait deviné mes pensées, car elle se mit à rire. Elle me prit par les épaules et me poussa doucement vers la salle des chats.

— Vas-y, tu verras par toi-même.

Perplexe, j’entrai dans la pièce où on gardait les chats à adopter. Darius et Aphrodite étaient assis dans l’aire de jeux, blottis l’un contre l’autre comme deux amoureux. Ils me tournaient le dos, si bien que je ne vis pas ce qu’ils faisaient. Je me raclai la gorge pour les prévenir de ma présence. Au lieu de sursauter et de s’éloigner d’Aphrodite d’un air coupable, Darius me regarda par-dessus son épaule en souriant. Aphrodite ne se retourna même pas pour voir qui venait d’entrer.

— Euh... je suis désolée d’interrompre cette petite scène touchante, dis-je d’un ton sarcastique, mais nous devons y aller.

Avec un gros soupir, Aphrodite finit par me jeter un coup d’œil.

— D’accord, allons-y. Mais je l’emmène avec nous. Je vis alors ce à quoi ils étaient occupés.

— C’est un chat ! m’écriai-je. Aphrodite leva les yeux au ciel.

 

— Sans rire ? Ça alors ! Un chat à Chats de gouttière !

— Il est affreux ! continuai-je.

— C’est pas vrai ! protesta Aphrodite, qui essayait de se relever tout en tenant un énorme matou blanc tout ébouriffé dans ses bras.

Darius lui tint le coude pour l’empêcher de tomber à la renverse.

— Cette chatte n’est pas laide, reprit Aphrodite. Elle est unique, et je la veux.

Elle caressait cette horreur sur pattes d’un air absent L’animal ferma ses yeux de fouine et se mit à ronronner à un rythme irrégulier, comme un moteur abîmé. Aphrodite regardait avec adoration sa gueule tout aplatie.

— Maléfique est de toute évidence un persan pure race, déclara-t-elle. Elle n’a absolument pas sa place dans un endroit pareil.

— Maléfique ? Comme la méchante sorcière dans La Belle au bois dormant ?

— Oui. J’aime ce nom. Il évoque la puissance.

Je tendis une main hésitante vers la grosse boule de poils d’un blanc sale. Maléfique ouvrit les yeux et feula d’un air menaçant.

— Je trouve que ce nom lui va à merveille ! dis-je en reculant promptement. Est-ce qu’on lui a limé les griffes ? poursuivis-je.

— Non, répondit Aphrodite joyeusement. Elle pourrait arracher un œil !

— Charmant.

— Je pense qu’elle est aussi unique et magnifique que sa nouvelle maîtresse, susurra Darius.

Il caressa Maléfique, qui plissa les yeux et ne grogna pas.

— Et moi, je pense que ton jugement est faussé, répliquai-je. Mais peu importe. Allons-y, je suis affamée. Je n’ai pas pris de petit déjeuner et nous avons manqué le déjeuner, alors il va falloir acheter un truc sur le trajet.

Je vais chercher les affaires de Maléfique, annonça Darius en se dirigeant vers un joli petit sac sur lequel était écrit, en cursives élégantes : « Pour votre nouveau compagnon. »   

— Tu as déjà payé les frais d’adoption ? demandai-je à Aphrodite.

— Absolument, répondit à sa place sœur Marie Angela depuis l’embrasure de la porte.

Elle contourna avec prudence Aphrodite et Maléfique, restant hors de portée d’un éventuel coup de patte.

— C’est fantastique qu’elles se soient trouvées comme ça ! commenta-t-elle.

— Si je comprends bien, personne ne pouvait toucher ce chat avant elle ?

— Absolument, confirma la nonne avec un grand sourire. Sœurs Bianca et Fatima prétendent que la façon dont Maléfique s’est immédiatement entichée d’Aphrodite tient du miracle.

Aphrodite eut un sourire cent pour cent authentique. Elle parut soudain plus jeune, et incroyablement belle.

— Elle m’attendait, déclara-t-elle.

— Oui, acquiesça la nonne, en effet. Vous allez bien ensemble. Je pense que Chats de gouttière et la Maison de la Nuit vont accomplir de grandes choses. Allez maintenant ! À bientôt.

J’avais une envie bizarre de la prendre dans mes bras, bien que sa tenue  – la guimpe plus la robe noire -n’appelât pas les câlins. Alors je lui souris et lui fis coucou en partant.

— Tu souriais comme une imbécile, dit Aphrodite en attendant que Darius lui ouvre la portière et l’aide à s’installer sur le siège avant de la voiture.

— Je suis polie, c’est tout. Et puis, je l’aime bien, répondis-je en me hissant à l’arrière.

Je regardai Maléfique, qui me foudroyait du regard par-dessus L4épaule d’Aphrodite.

— Euh, Aphrodite, tu ne devrais pas la mettre dans une boîte ou un truc comme ça ?

— Bien sûr que non. Quelle cruauté !

Elle caressa la bête, et des poils blancs se mirent à flotter autour de nous, telle une pluie répugnante.

— Je pensais seulement à sa sécurité, mentis-je. Je jetai un œil sur l’horloge du tableau de bord : il était vingt-trois heures passées.

— Il faut s’arrêter quelque part pour manger un morceau, rappelai-je à Darius.

À cet instant, une odeur alléchante et familière pénétra par les vitres entrouvertes de la voiture.

— Oh, miam ! Allons au Charlie’s Chicken ! m’écriai-

— C’est terriblement gras, remarqua Aphrodite.

— C’est pour ça que c’est délicieux. Heath et moi venions toujours manger là.

— Berk ! grimaça Aphrodite.

— C’est moi qui paie, annonçai-je.

— Adjugé !

[La Maison de la Nuit 04] Rebelle
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